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Cela fait quelque temps que je réfléchis à cet article. Après presque cinq mois de recul, j'aimerai aujourd'hui tenter de mettre des mots sur ce qui a changé concrètement. D'une manière simple, sous forme de liste pour essayer de montrer facilement à quel point il y a un avant et un après.
Cinq mois, ça ne me dit pas grand chose. Le temps est devenu une notion encore plus abstraite. Un jour, je me lève en me disant "Déjà" et le lendemain je me dis "Seulement". Cinq mois qui ont transformé nos vies, nos caractères, notre vision de la vie, nos relations avec les autres, notre tolérance.
Tout d'abord, j'ai décidé de laisser tous les articles de ce blog concernant la conception et ma grossesse. J'avais hésité à tout refaire à neuf et puis non. Pour bien comprendre l'ambiguïté du deuil périnatal, il faut saisir que c'est totalement imprévisible et qu'il n'y a pas besoin de raison. Personne ne s'y attend, personne n'y pense vraiment (et heureusement) mais tout le monde peut être touché. Ma grossesse se passait vraiment de manière idyllique. Pendant les trois premiers mois, je n'ai presque pas eu de symptômes à part une fatigue extrême. Ensuite, j'ai eu quelques soucis de sciatique, des difficultés à me mobiliser et une grande fatigue physique mais tout allait bien. Les filles étaient bien actives, leur croissance était parfaite.
Nous avions beaucoup anticipé les achats car accueillir deux enfants ce n'est pas rien et nous avions besoin d'étaler les dépenses. Nous voulions aussi que tout soit prêt assez tôt car nous avions bien conscience des risques de prématurité avec une grossesse gémellaire.
Jusqu'à ce 26 avril, notre quotidien c'était ça :
- Monter la chambre.
- Faire des achats.
- Ranger l'armoire.
- Décorer.
- Choisir les prénoms.
- Acheter une nouvelle voiture.
- Acheter un caméscope pendant les soldes en pensant à tous ces merveilleux moments que nous pensions vivre et que nous voulions immortaliser.
- Trouver la poussette double de nos rêves.
- Leur parler, leur faire écouter de la musique, les sentir.
- Participer à des forums de grossesse.
- Les rendez-vous médicaux.
- Se plonger dans des livres concernant la grossesse, l'éducation, la gémellité.
- Me renseigner sur l'allaitement.
- Rêver, aimer, se sentir épanouis, chanceux, privilégis.
Puis à partir de ce 26 avril, notre quotidien est devenu:
- Choisir une agence de Pompes Funèbres.
- Choisir ce que nous voulions pour elles. Rien que cette question "Voulez-vous inhumer vos enfants ou faire une crémation?"
- Aller au cimetière pour voir les différentes alternatives: tombes, jardin du souvenirs, columbarium, rosiers du souvenir etc.
- Recevoir en même temps que les actes de naissance, les actes de décès.
- Envoyer les actes de décès à tous les organismes.
- Voir les cendres de ses enfants, poser une plaque en leur nom.
- Revendre la poussette double.
- Ranger la chambre.
- Enlever les décorations choisies pour elles.
- Répondre aux questions
- Souffrir des suites de l'accouchement, garder les kgs, perdre du sang, avoir des bas de contention, avoir son retour de couches, voir son ventre dégonfler : Mais sans avoir mes enfants près de moi.
- Se rendre compte petit à petit que je ne les reverrai plus jamais, que je ne les verrai pas grandir, que je ne les sentirai plus jamais.
- Accepter que ces quelques heures sur moi seront le seul souvenir que nous aurons de notre vie de famille.
Après avoir terminé toutes les démarches, je crois que le pire est arrivé : Plus aucune occupation, plus rien à faire. Tout ce qui occupait nos journées avait disparu. Nous n'avions que notre désarroi et notre désespoir.
Comment nous avons réussi tant bien que mal à sortir (un peu) la tête de l'eau? En prenant soin de l'autre et en nous respectant. En rendant hommage à nos puces, en continuant de les faire vivre. En acceptant de prendre le temps d'être malheureux, de connaître le fond du trou. En acceptant de ne plus lutter, de ne plus prendre sur nous et d'accepter que cette douleur fera à présent partie de nous à tout jamais.
