"C'est une histoire de femmes".
Voilà, ce que l'on entend très souvent lorsque l'on parle de grossesse, d'accouchement, de naissance. Lorsque tout se passe bien, il me semble déjà que les autres sont plus concernés par la maman et le bébé. Mais le papa trouve malgré tout plutôt naturellement sa place. Il prévient les proches de l'arrivée de bébé. Donne des nouvelles de la maman. Prépare la maison pour le retour de la maternité...Etc, etc.
Mais lorsque l'inacceptable se produit, lorsque que tout tourne mal :
Quelle place donne t'on au papa ? Etre reconnus parents après avoir perdu ses enfants est difficile. Pour certains, nous sommes plus "paranges" que parents. Nous n'avons pas ramené nos enfants à la maison, nous ne sommes donc pas plus avancé dans notre rôle de parents qu'avant la grossesse... Malgré tout, le rôle de maman est plus facile à accorder dans la tête de l'entourage. Quand même, elle a porté son enfant et l'a mis au monde. Elle est peut être aussi marquée par l'accouchement, peut avoir gardé des stigmates de sa grossesse. Difficile de l'ignorer à la sortie de la maternité.
Pour autant, quand nous donnons la vie et que la mort rôde, le papa tient son rôle comme n'importe quel père. Dans notre cas, mon homme a été là du début à la fin. Il est arrivé vêtu de sa blouse, charlotte et surchaussures avant moi dans la salle de naissance. Il a naturellement pris place à coté de moi en m'attrapant et me serrant la main. Comme n'importe quel père, il m'a murmuré des encouragements et mots doux à l'oreille pour m'aider à mettre au monde nos filles.
Sauf que rien ne se passait comme une naissance ordinaire. Nous étions là, tous les deux, en salle d'accouchement. Et nous savions que nos enfants allaient mourir, que nous repartirions seulement tous les deux alors que nous étions fait pour être quatre. Et pendant cet accouchement, nous avons fait un réel travail d'équipe. Même si j'étais dans ma bulle pour gérer surtout la douleur physique (pas de péridurale) à certains moments, je sentais la force et le courage émaner de lui pour me porter. Lui qui a vu Clara et Océane sortir. Lui qui m'a vue souffrir. Lui qui m'a vue proche de l'évanouissement. Lui qui voyait les électrodes et les machines s'affoler. Lui qui me voyait perdre du sang. Lui qui avait si peur de voir nos filles mourir et qui en plus a eu peur de me voir partir. Lui qui a géré mes parents, dans la salle d'attente à côté pour leur donner des nouvelles. Lui qui est allé les chercher pour qu'ils puissent voir leurs premiers petits-enfants. Lui qui a pensé ensuite à prendre des photos des puces sur moi. Lui qui est resté du début à la fin en étant présent et en même temps discret pour me laisser profiter de ce moment de sérénité pendant le peau à peau. Lui qui a embrassé si tendrement ses filles en leur disant au revoir.
Lui qui a informé nos proches. Lui qui a donné de mes nouvelles. Lui qui a veillé sur moi nuit et jour. Lui qui a préparé l'appartement pour mon retour à la sortie de la maternité. Lui qui a passé les coups de téléphone aux différents organismes pour que je n'ai pas à le faire. Lui qui s'est renseigné le premier sur les agences de pompes funèbres. Lui qui m'a portée à bout de bras les semaines et mois qui ont suivis le drame. Lui qui aime autant ses filles qu'il m'aime moi.
Lui lui lui... Et si peu de considération de la part de l'entourage trop concentré sur moi et mon chagrin. Pourtant, c'est lui qui a fait la plus grosse partie du travail pour nous faire avancer. Il a porté notre couple en s'oubliant en me laissant tout passer.
Les pères sont trop souvent mis de côté après un drame pareil, alors que leur souffrance est la même que la nôtre. Ils sont plus discrets et en parlent moins, certainement pour ne pas rendre plus triste leur femme. Mais ils ont tout autant besoin de soutien et d'être eux aussi portés à bout de bras.
Si (malheureusement) un couple de votre entourage se retrouve un jour confronté à ce drame qu'est la perte d'un enfant, s'il vous plaît, prenez des nouvelles du père, demandez lui comment il le vit, ce qu'il ressent, faîtes lui voir que vous êtes là autant que pour la mère. Il ne répondra peut être pas, ne voudra eut être pas s'exprimer mais je vous assure qu'il aura le coeur un peu plus léger de se savoir lui aussi entouré.